Télescopage en pleine rue [Rés. Maria Evans]

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Anna Ferderson pénétra dans une cabine téléphonique rouge, après avoir longuement patienté derrière une petite vieille qui avait parlé plus de dix minutes et dont le caniche, ou tout autre race de chien que ce fut, l’avait fixée durant tout ce temps. La jeune femme avait maudit le fait qu’elle ne possédait pas encore assez d’argent pour s’offrir un téléphone portable et avait pris son mal en patience. Il pleuvotait ce matin-là, mais elle n’y faisait pas attention. Elle sentait juste quelques gouttelettes glisser dans son cou et son dos. Ses longs cheveux bouclés étaient encore secs, elle estimait donc que la situation n’était pas encore catastrophique.

Elle se réfugia donc dans la petite cabine couverte de graffitis, proclamant « Love » ou encore « F*** », jeta un rapide coup d’œil sur les alentours, le temps de constater que les rues de Riverfall étaient désertes, puis tapa son numéro. Enfin son numéro, celui de son cher professeur de Londres qui l’avait fait sortir de la misère en lui faisant redécouvrir le théâtre et en lui proposant de postuler pour le Shakespeare Theater. Elle lui conservait une grande tendresse, c’était un peu le grand-père qu’elle n’avait jamais eu. Elle ne lui avait pas parlé depuis la fin de la saison dernière où elle avait décidé de partir en Irlande durant les vacances. Anna avait souhaité qu’il l’accompagne dans ce voyage pour lequel elle avait économisé toute l’année, mais la santé du vieux monsieur déclinait et il avait refusé dignement. La jeune femme lui avait promis de le rappeler lors de son retour.

Une sonnerie. Puis deux. Trois. Anna Ferderson commençait à s’inquiéter sérieusement. Au bout d’une dizaine, elle raccrocha, voulut recommencer à téléphoner, mais elle n’avait plus de monnaie.

- Merde, murmura-t-elle pour elle-même, ne me laissez pas toute seule... Restez avec moi...

Elle resta longtemps ainsi, regardant fixement le combiné, sans le voir, espérant, priant pour qu’il ne soit rien arrivé de grave à son vieil ami et protecteur. Si seulement elle l’avait appelé plus tôt ! Si seulement elle avait cherché à prendre de ses nouvelles durant le séjour dans le pays de Tristan et Iseult ! Hélas ! Dépitée, elle finit par sortir de la cabine, se promettant de revenir très prochainement. Sans faire attention, perdue dans ses pensées, elle faillit renverser une jeune femme qui marchait en face d’elle.

- Excusez-moi...

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Maria se promenait comme toujours dans les rues de Riverfall. Habillée de leggings noirs surmontée d’une jupe en jeans. Elle portait des converse noirs, un classique de la mode. Il faisait froid ce matin, une légère brise raflait toute la ville. Frileuse de nature, la jeune femme avait mis au moins 3 épaisseurs de chandail plus un simple manteau noir. Un sac à main à l’épaule, elle défilait dans la rue à la recherche de tout et de rien.

Les cheveux attachés pour faire face à la pluie, Maria venait de faire au moins une dizaine de magasins et pourtant aucun sac ne se trouvait dans ses mains. Mauvaise journée pour la jeune femme. Il était bien rare qu’elle revienne sans rien avoir acheté. Un peu désespérée, elle avait acheté un nouveau parfum qui venait tout juste de sortir. En sortant du magasin, elle sortit son portable pour regarder si elle avait reçu des nouveaux messages. Rien. Sa boite de réception était d’un vide total. Puis Maria sentit quelque chose la frapper.

Une autre femme, plus grande qu’elle, venait de lui foncer dedans avec une grande force. Elle devait être pressée et n’avait pas regardé devant elle. Maria faillit échapper son portable par terre mais le rattrapa de justesse. La personne s’excusa mais Maria était furax. Elle passait une journée de merde et cela venait de faire déborder le vase.

« Hey! Faudra faire attention la prochaine fois. Un portable ça s’achète pas au coin de la rue vous savez! » Lança-t-elle plutôt fort en la regardant directement dans les yeux. Elle ne savait pas trop ce qui lui avait prit, même si c’était plutôt son genre de se fâcher rapidement dans certaines situations. Elle rangea son portable et replaça rapidement ses vêtements fripés par l’accrochement. Ce que les gens pouvaient être bêtes des fois…

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Anna Ferderson recula brusquement sous l’effet de la colère de la jeune femme devant elle. Elle était surprise de sa réaction brutale alors qu’elle considérait que la faute était autant partagée. Enfin presque. La fille qu’elle avait renversée était plutôt jolie, blonde, les lèvres pulpeuses. Sa classe était telle qu’Anna n’aurait pas été si étonnée de l’entendre parler de cinéma et de Hollywood. A côté d’elle, la jeune femme se sentait terriblement ordinaire, et même plutôt pitoyable avec ses longs cheveux bruns emmêlés, et ses vêtements simples.

« Je ne sais que trop bien le prix que coûte un portable », répliqua la comédienne, un peu furieuse du temps moralisateur de la jeune femme qui la regardait droit dans les yeux. Elle remarqua qu’elle avait un regard noisette.

Elle regretta rapidement ses paroles et s’excusa de nouveau. La jeune femme avait peut-être eu une mauvaise journée et ce n’était pas de sa faute. Certes, Anna n’était pas du tout de ce genre. D’un caractère calme, elle restait maîtresse de ses nerfs en toutes circonstances, ce qui était bien pratique quand arrivait le temps de la répétition générale, où tous les acteurs, costumiers, administrateurs du théâtre stressaient, et avaient l’angoisse suivante : auraient-ils fini à temps ? Au lieu de courir dans tous les sens, Anna s’asseyait dans un coin, ou dans sa loge, pour répéter son texte, en silence, et ne se levait que lorsque des impératifs l’exigeaient, comme l’essai d’une nouvelle tenue.

« De nouveau, je suis désolée, mademoiselle. J’ai eu quelques soucis... Enfin, cela n’excuse rien, répéta Anna, si vous avez quelques minutes, je peux vous inviter à prendre un café pour me faire pardonner de mon imprudence ».

La jeune femme comptait l’emmener, si elle acceptait dans le bar des O’Neil, où le barman accepterait sûrement qu’elle revienne payer plus tard. Et oui, plus de monnaie...

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Maria avait réagi un peu trop fort mais elle s’en rendit compte trop tard. En fait elle était surtout trop orgueilleuse pour s’excuser. Elle décida donc de se calmer et de regarder la jeune femme avec autre chose que de la colère. Après tout c’était un peu de sa faute aussi. L’autre jeune femme lui répondit sèchement qu’elle connaissait bien le prix d’un portable. Effectivement, tous les gens n’avaient pas autant d’argent que Maria pouvait en avoir, mais elle ne s’en vantait pas pour autant.

Elle s’excusa à nouveau et l’invita à aller dans un café pour se faire pardonner. Maria sourit légèrement à l’invitation et regarda sa montre, une montre de marque bien évidemment. Elle ne donnait pas mieux l’heure, elle était simplement plus jolie. Elle avait une heure de libre. Maria hésita un moment et rabaissa sa manche avant de regarder la jeune femme dans les yeux.

« Bon d’accord, mais j’ai seulement une heure de libre…» lança-t-elle doucement.

Elle se mit à suivre la jeune femme devant elle qui semblait bien savoir où elle allait. Avec ses bottes à talon hauts, Maria avait un peu de mal à aller aussi vite que la demoiselle tout devant elle.

« Hey attend un peu. Tu nous emmènes où au fait? » demanda-t-elle une fois arrivée à sa hauteur.

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Anna était plutôt soulagée que la jeune femme soit revenue à un sentiment plus calme et soit plus prompte au pardon. Son but n’était pas de se faire des ennemis à Riverfall, loin de là. Avec son caractère pacifique c’était d’ailleurs plutôt elle qui désamorçait les bombes dans la troupe A, bien connue pour son talent indéniable certes, mais aussi pour ses sautes d’humeur. Combien de fois avait-on vu le génie de plusieurs comédiens s’affronter, quand ils n’étaient pas d’accord pour telle ou telle interprétation du texte ? Son calme olympien avait tôt fait de faire relativiser ses camarades. A vrai dire, Anna n’était pas fâchée de ne pas être sanguine.

Perdue dans ses pensées, sans faire plus attention aux marques que portait la jeune femme en face d’elle, qui après tout s’habillait bien comme elle le voulait, elle partit d’un pas rapide sans se rendre compte que les talons hauts de Maria l’empêchaient de marcher aussi rapidement. Anna mettait toujours des chaussures plates, toutes simples. Après tout elle était plutôt maladroite et il serait malavisé de sa part de se percher sur des talons !

- Excuse-moi ! s’exclama-t-elle, ayant récupéré sa bonne humeur, puisqu’elle venait de penser à ses amis, à sa petite famille du théâtre, pas l’habitude des talons...

Elle se mordit la lèvre en essayant de ne pas éclater de rire. Décidemment, elle accumulait bourde sur bourde avec son interlocutrice et il serait étonnant, à cette allure là, qu’elles repartent bonnes amies.

- C’est le bar des O’Neil, tu connais peut-être, l’ambiance est vraiment sympa. J’y vais souvent avec mes amies du Shakespeare. Oui, expliqua-t-elle, je travaille au théâtre de Riverfall, alors...

» Maria Evans